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Elle en rêve dans le grand bain du quotidien

Anonyme

Elle ne sait pas faire avec ces choses-là. 

Elle sait en rêver mais elle ne sait pas comment les faire naître dans l’opacité du réel. Elle en rêve dans le grand bain tiède du quotidien. Et lorsqu’elle en rêve, qu’elle dessine parfaitement les lèvres, la peau, le souffle, la voici confondue en un vertige extatique. Instantanément sa chair se renverse. Quelque chose en elle trébuche. Est sur le point de tomber, de choir. Elle sent et ressent le poids de sa chair en même temps qu’elle se perd et se disloque. 

Elle devient la voie lactée, suspendue au-dessus du vide.

Et elle chancelle.

Elle vit une chute interminable qui lui donne le tournis, la confond et la trouble.

Elle sent chacune de ses cellules tomber comme de lourds sacs de billes. De sa tête jusqu’à ses pieds. Un verre d’eau bouillante se renverse en son estomac, tapisse tout et s’écoule avec une langueur terrible, en gouttes longilignes et chaudes. Le désir lui cogne. Lui martèle le sexe. Agit sur elle comme un poison qui la tord. Ce désir la tord. Et l’agite. Et la troue. Elle veut fondre sur la chair. Dans la chair. S’épuiser de ses émotions physiques et se diluer en l’autre. Distendre, retirer, arracher, ces couches dérisoires de vêtements pour se trouver encore plus près. De la gorge. Des seins. Du bras, celui avec la cicatrice. De ce qui chante à l’intérieur.

Mais, amputée par sa douce folie, elle n’est bonne à rien qu’à regarder l’autre, pantoise, dans le trouble de son inaction. 

Acte simple de se pencher pour embrasser, qui la pétrifie, la perds, la perce. 

Juste viser les lèvres.

Tout simple.

Rien de plus facile que de s’avancer, respirer les traits dans une lenteur timide, s’approcher du cercle chaud de la peau ; la sentir s’envoler, la retenir par la main - la main qu’elle embrasserait-. Revenir au visage, faire rouler ses lignes dans ses lignes, troubler ses lignes d’ombres et de chair. Boire les cheveux et se suspendre, disloquée, au-dessus du souffle qui jaillit en écoutant les crépitements sous la carcasse que l’œil dans l’œil tisonne. S’égrener en miettes inégales et sentir, dans un tremblement mal assuré, la collision de leurs deux bouches qui rendrait la nuit éternelle. 

Acte simple de se pencher pour embrasser. 

Qui n’advient pas. 

Et la voilà, en grande enfant idiote, à contempler ses pieds, déconcertée par l’autre, les lèvres, les rêves ; et plus encore par l’idée de ne pas savoir faire avec ces choses-là.

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