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Elle

Coralie Morthel

Elle peine à définir son état d'esprit. Est-il d'ailleurs encore assez sain pour qu'elle puisse l'analyser de façon cohérente ? Lasse, elle s'affale sur le canapé et s'égare dans ses pensées. Puis elle essaie de les rassembler comme pour en faire une dissertation : introduction, développement et argumentation... Conclusion : zéro pointé. La trame se désintègre et les morceaux ne donnent rien. Un tas de sentiments contradictoires l'assaille. Par où commencer ?

La colère n'est pas son fort. Elle a si bien exploité son talent de médiatrice qu'elle en a perdu la rage, pourtant nécessaire parfois. Elle pèse toujours le pour et le contre, arrive à voir la faille de chaque révolte. Elle a les mots pour les autres, mais elle reste muette face à son cas. Elle se dit qu'elle s'est juste oubliée. Elle ne sait plus qui elle est. Comme l'impression que sa vie ne lui appartient plus depuis longtemps

La tristesse, oui. Elle est bien là. Triste pour le monde, pour la planète, pour l'humanité. Triste pour tout ce qui est détruit et vainement reconstruit. Triste pour les enfants, triste pour SON enfant. Pas pour elle. Jamais pour elle. L’écœurement, c'est la colère qu'elle n'a plus. À la place, une envie incessante de vomir sur l'injustice, la violence, le saccage, la démesure, et sur tant d'autres choses. La boule qui lui noue l'estomac en permanence, commence à l'étouffer littéralement

Du coup, l'épuisement. Physique et mental. Courage et motivation se dissolvent peu à peu. Ce qui la tient, c'est ce qu'elle montre et qu'elle n'est pas. C'est la façade neuve d'un bâtiment précaire, la peinture fraîche sur un mur amianté. Ce qui la tient, c'est ce qu'elle veut que l'on voit d'elle, ce qu'elle veut que l'on PENSE d'elle. Sa bienveillance, elle en veut le reflet dans les yeux de ceux qui la regardent. Par chance, elle l'obtient souvent. C'est bien ce qui la tient. L'autre. Encore et toujours. Pas elle. Jamais elle.

La solitude… Elle se demande si c'est un sentiment ou un état factuel. Les deux sans doute, apparemment dissociables. Elle n'est jamais vraiment seule, elle a son enfant et des tas d'amis. Elle sort souvent avec eux, elle les aime et ils le lui rendent bien. Mais au fond… le vide. Avec ou sans elle, ils sont. Sans eux, elle n'est RIEN. Voilà exactement ce qu'elle ressent maintenant. Tout « elle » n'est qu'une composition sociale, un amas d'échantillons, de petits bouts d'autres. Elle a construit ce tout à partir de rien. Elle a cru en faire une force, c'en est une peut-être. Mais pour lutter contre quoi ? La main qui la pousse vers le précipice du désarroi ? Possible… Le vertige la fait vaciller, mais elle ne tombe pas. La chute serait visible aux yeux de tous, et elle se refuse à cette faiblesse. Elle croit avoir un rôle, et aussi futile soit-il, elle veut le tenir jusqu'au bout. Ne pas décevoir, ne pas abandonner, ne pas choquer. Être celle que l'on veut qu'elle soit.

Être juste là.

Qui est Coralie Morthel ?

"Maman solo d'une ado non-binaire, je hais les clichés, les tabous et l'intolérance. Je prône le dialogue et la bienveillance. J'adore mes amis, et le Martini. La vie aussi, celle que l'on choisit. Et la liberté, celle qu'on a gagnée…

 

Ces 2 textes [Reine et Elle] sont extraits de mon 1er livre "Ça va, merci. Et vous?", qui aborde de façon très personnelle des thèmes relativement universels (société, éducation, tolérance, souffrance, dépression, sexualité, fêtes et défaites). Sans prétention."

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