L'été martien
Bénédicte Debray
Je sens la chaleur qui passe à travers les murs de ma chambre du 322ème étage. La même qui me qui me fait cuire dans la journée, comme dans un four à la taille d’une mégalopole martienne. Mais à la tombée de la nuit, il ne reste plus que son empreinte. Elle est partout. Sur toute la surface de mon corps et sous mes cheveux. Dans ma gorge et dans mes yeux, l’air est lourd au plus près du soleil. Alors, à la recherche d’un peu de répit, je me languis de la fraicheur de la nuit. Je me tourne et retourne dans ma couverture thermorégulatrice. Un bras, une jambe toujours coincée dessous son poids rassurant, en dépit de la chaleur.
L’hiver me coupe du monde. Je suis dans l’igloo hermétique de chambre. Sans bruit, sans lumière, enfouie sous une épaisse couche de couettes. L’été m’ouvre une fenêtre sur la rue. Pour ne pas étouffer, je lève le rideau de fer, ouvre le vitrage isolant, et je pose ma tête face à l’extérieur. Et soudain, la rue a vue sur ma petite chambre. Je suis tout près des immeubles verticaux que je vois tous les jours sans lever les yeux des trottoirs aériens. Mais cette fois, je suis à l’horizontal de cette altitude. Et l’air souffle très légèrement sur ma peau.
À cette hauteur, je ne vois ni le sol ni le ciel. Ma fenêtre ne donne que sur d’autres fenêtres, et parfois le bord d’un complexe spatial qui s’ajoute à la composition. Dans l’ouverture de mes paupières fatiguées, je vois un kaléidoscope de longues fenêtres identiques. Certaines sont ouvertes. Je les devine tout autour de ma chambre. Des centaines au-dessus. Des centaines au-dessous. Dans cette ville où nous nous entassons, de plus en plus nombreux.
Tout est calme. Ce monde murmure dans une obscurité jamais complète. Des rais de lumière artificielle tombent dans ma chambre, projetant des lignes et polygones qui s’animent et traverses ma chambre comme le mouvement des étoiles. Et je me demande qui a jamais contemplé les lumières des fenêtres du 322ème avec des yeux rêveurs.
Je m’oublie dans cette vision, car j’y flotte sans qu’elle me laisse dériver. Cet été s’accroche à moi. Progressivement, je me détends pour m’y baigner. Je m’allonge, sans bouger, et je regarde. Je sens. J’écoute.
Des voix distantes se fraient un chemin dans mes oreilles. L’écho des conversations se perd entre les centaines d’étages. Parfois quelques notes de musique se font entendre, mais ma section est relativement tranquille. Je distingue, ici et là, les ondulations sonores des véhicules aériens. Leur vrombissement m’endort petit à petit. Comme si rien ne pouvait perturber leur trajectoire. Leur bruit continu me berce d’une certitude tout humaine. Et j’ai l’impression de détenir une vérité universelle à travers ma fenêtre, avant de plonger dans une douce inconscience.
Un bras se glisse autour de ma taille avec un soupir endormi. La femme dans mon lit se love dans mon dos, recherchant la fraîcheur de l’air qui caresse nos corps dans la nuit. Mes pensées passent en veille. Je suis un système de sensations.