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Le Botaniste

Delphine Réa

           Par la fenêtre entrouverte, il apercevait les jardins du musée d’histoire naturelle, où les passants
se promenaient l’air béat, sous le soleil tapant.


           Il envisageait de quitter plus tôt le bureau et d’arpenter les rues humides du centre-ville afin de
récupérer son veston chez Pauline. Cet être, qu’il jugeait constant et sans surprise, était pourtant avide d’aventure et de frénésie. Pauline, dans sa bulle de cristal, mobilisait énormément d'énergie dans l’organisation et la planification de ce rôle social qu’elle s’imposait au quotidien. Une mise en scène contrôlée, qui ne laissait transparaître aucun trait de sa vraie nature colorée.


           Arrivé en bas de son immeuble, il ne se rappelait plus de son nom de famille. « Et si c’était l’immeuble plus haut ? », se demanda-t-il, «  Voyons-voir H-A… ». Les façades des bâtisses étaient voilées par toutes sortes de plantes grimpantes, qui habillaient les murs d’un éclat exotique et de lumière. Il souleva les feuilles de lierre, qui cachaient une partie de l’interphone. « Mais oui ! HANNASSA ! », se souvint-il.


           Au même moment, il fut surpris par la présence d’une jeune enfant, qui l’observait depuis le patio. Coiffée d’une natte, elle portait une robe jaune pâle et une paire de Reebok Royal, qu’elle frottait
l’une contre l’autre, comme pour marquer l’ennui. Mâchant son chewing-gum, la petite était assise au pied d’un palmier planté au milieu de la cour intérieure, quand elle se leva pour rejoindre sa mère, qui enfin descendit de l’immeuble, prit sa fille par la main et se dirigea, haletante, vers la rue passante. Il entra, il était 17h03.


            Arrivé essoufflé devant la porte d’entrée, il eut un soupçon d’hésitation ; il se revit en train de suffoquer sous ses draps, le regard perdu dans le sien. Il sonna, Pauline n’était pas là. Les jambes allongées sur le rebord du canapé et les pensées flottant dans le vide, Pauline prenait le temps de siroter la limonade, que Rosa lui avait préparée. Elle s’était évanouie, une heure plus tôt, en rentrant chez elle, à cause de cette chaleur humide et assommante. Sportive, volontaire et acharnée, Pauline avait aussi ses petites failles.


            Rosa sa voisine de pallier l’avait trouvée à terre devant la rambarde, lorsqu’elle reprenait doucement connaissance. Elle était arrivée comme un rayon de fraîcheur, pour la sortir de son étourdissement et l’avait conduite chez elle le temps de regagner ses esprits. Pauline lui en était naturellement reconnaissante, ce n’était pas la première fois que Rosa lui démontrait sa bienveillance. Elle se leva, s’approcha d’elle, la remercia, lui fit un baiser sur la joue, remis ses chaussures et partit.


           À peine passé le pas de la porte, Pauline vit Rodrigue s’apprêtant à redescendre. Calme et souriant, il semblait apaisé de la voir arriver. Elle oublia aussitôt son malaise. Ils échangèrent quelques mots, et entrèrent chez elle.


            Ils s’installèrent sur son balcon ombragé, où elle servit un thé à la menthe, puis une purée maison froide, cuisinée la veille. Elle se sentait encore affaiblie, mais la présence de Rodrigue la rassurait amplement et la remplissait d’assurance et de bien-être. Sa peau claire, son teint pâle trahissaient cette fragilité et cette sensibilité, qu’elle croyait cacher. Ils s’étaient consciemment coupés du temps sur ce balcon fleuri et verdoyant, qui était devenu leur espace intime et interdit, où leur aura se mélangeait. Le soleil s’inclinait, quand quelques gouttes tombèrent du ciel lourd et orageux ; une légère brise se leva pour caresser leur visage amoureux.
             Pauline comprit ce soir-là, qui il était et qui il serait pour elle. Elle pouvait désormais s’asseoir sur ces années de doute, de solitude et d’amertume.

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